L’envie n’est pas la passion des faibles, des « basses classes », des pauvres, des impuissants, mais un affect universel, secret et pour une part inconscient. Aucun individu ne peut prétendre en être exempt. Aucune société, égalitaire ou inégalitaire, ne peut faire l’économie du problème de l’envie. L’ouvrage tente d’en cerner la complexité à travers les définitions successives qu’en ont données la philosophie grecque, la théologie chrétienne et la psychanalyse. L’envie est au cœur des interrogations sociopolitiques, comme il ressort des œuvres de Rousseau, Tocqueville, Michelet et Taine. La projection de l’envie joue également un rôle déterminant dans l’apparition d’un nouveau type d’héroïsme démocratique qui idéalise ce qu’on eût considéré comme de l’imposture sous l’Ancien Régime. Plus que la mélancolie, l’envie est le véritable « soleil noir » du xixe siècle qui éclaire d’un jour menaçant les grandes démocraties en formation.
Introduction : mélancolie ou envie ?
I. Histoires d’une passion triste
A – Définitions
1. L’envie et l’égalité
Envie, indignation et émulation dans la Rhétorique d’Aristote – Amitié et envie dans la Rhétorique et l’Éthique de Nicomaque – Envie et agôn : une lecture nietzschéenne – Démesure et envie – La condamnation platonicienne de l’envie
2. L’envie et le mal
Quelques topoï de l’envie : un vice sans fin – Le péché du diable – Envie et orgueil – Péché originel et capital – La synthèse thomiste – L’envie et le mal social I : L’inégalité nécessaire – L’envie et le mal social II : Imaginaire inégalitaire
3. Le renversement rousseauiste
Le cœur pur et les envieux : justifier Jean-Jacques – De la justification de Dieu à la justification de l’homme – Existence sociale et envie – Une société sans envie
B - L’envie, une passion sociopolitique
1. Tocqueville et l’envie démocratique
La démocratie : vers l’autonomie ou la servitude ? – L’envie et la définition tocquevillienne de l’égalité – Un moteur de l’égalisation des conditions – Un sentiment démocratique – Sympathie et douceur
2. Michelet, l’envie et la pathologie de la terreur
Justifier la Révolution française – Les massacres de Septembre : justifier le peuple – Le clivage des cœurs – La tragédie des « Tartuffes », furie de la pitié et tyrannie des philanthropes
3. Taine, une généalogie de la morale démocratique
La monotonie des petits faits – Révolution : rupture et continuité – Souveraineté populaire et hallucination – Désidéalisation du peuple et de ses représentants – De l’hallucination au crime, de l’envie au remords – Le jacobin et le héros de roman – Au-delà de toute justification
II. Envie et imposture, un nouvel héroïsme
1. Julien Sorel, un nouveau Tartuffe
L’original – Le retour des hypocrites – Scène primitive et humiliation sociale – Les deux ennemis : Rênal et Valenod – Ambition et envie – Narcissime mortel
2. Ruy Blas, héroïsme et imposture
Psychanalyse de l’imposture – Ruy Blas et Tartuffe – Ruy Blas et Alceste – Ruy Blas et l’égalité des conditions : une fantaisie démocratique – L’imposteur, ce héros au sourire si doux…
3. Balzac, la tentation, le pacte et le complot
La tentation : L’Auberge Rouge et Melmoth réconcilié – Le pacte : don, amitié, dévouement – Le complot et la structure romanesque – Lucien de Rubempré : un objet d’envie – César Birotteau : un imposteur malgré lui – L’hubris démocratique – Hamlet, Tartuffe et Œdipe
4. Eugène Sue ; Frédérik Bastien, le héros est nu
De la réaction au progrès – La constellation familiale du héros – La naissance de l’envie – Envie passive et envie active – La solution démocratique à l’envie – La fin d’une illusion romanesque
5. Émile Zola, Claude Lantier et l’invisible objet de l’envie
L’artiste envié et le triomphe de la contrefaçon – Les deux amis : Claude et Sandoz – L’objet archaïque de l’envie – Au principe des Rougon-Macquart
6. Les racines inconscientes de l’envie
Jalousie et envie – L’envie archaïque – Envie et création – Réalisme et contrefaçon – Envie, deuil, et mélancolie – Le suicide envieux : Hedda Gabler – L’amitié impossible
Bibliographie
Index